Je tiens à exprimer ici ma profonde tristesse et mon immense compassion devant ce que vivent tous ceux qui sont ou furent partie prenante directe de ce drame : les victimes et leurs familles, le peuple français, les kamikazes et leurs parents (si j’inclus ces derniers, c’est parce que je suis convaincue par cette phrase de Patrick Viveret : Quand un groupe d’êtres humains n’a plus d’espoir, la société toute entière est en péril).
Cette nuit, j’ai pensé : « Bien sûr que, face à certains événements, la bienveillance ou l’empathie peuvent être considérées comme utopistes, inadmissibles, voire même risquées…, bien sûr que ces valeurs humanistes, à titre individuel et exclusif, n’infléchiront peut-être pas les courants d’extrémisme auxquels nous faisons face, mais alors, que puis-je faire, de là où je suis, pour nourrir mes besoins de sens et de contribution ?
Plusieurs questions m’ont traversée :
1. Vais-je répondre à ces assassinats que je réprouve en me durcissant et en aspirant secrètement à des représailles ? Sachant très bien que : si sur cette terre on appliquait la loi du « œil pour œil dent pour dent », il n’y aurait que des aveugles et des édentés…
2. Vais-je renoncer à ma confiance en un humanisme contagieux, alors que celle-ci est nourrie quotidiennement dans mon travail de transmission de clés destinées à nous rendre plus bienveillants ? (dans ma vie, j’expérimente souvent que la bienveillance est contagieuse !)
3. Vais-je laisser les événements récents me contaminer et glisser vers une tentation bien légitime d’auto-protection par l’exclusion, le protectionnisme forcené ?
4. Ou vais-je utiliser ce qui se passe pour renforcer mon engagement à mes valeurs essentielles telles que par exemple : « Ne fais pas aux autres ce que tu n’aimerais pas qu’ils te fassent. » et « Offre leur l’attention et le soin que tu aimes recevoir et qui te rendent plus humaine quand tu les reçois. »
J’ai beaucoup réfléchi, mais il était clair que mon cœur, malgré mon offuscation et mon écoeurement, disait oui à la 4° option.
Et pour moi, cette 4° option est un devoir incontournable, d’autant plus incontournable que je ne suis pas dans la peau de celui qui vit l’immense chagrin d’avoir perdu un proche.
Pour pouvoir garder le cap sur ce qui me semble incontournable, il y a des phrases qui m’aident. Une de celles que je préfère dit ceci :
Dans une vie, ce qu’on regrette ce n’est pas l’inatteignable, c’est l’atteignable non atteint.
Mon atteignable à moi consiste à tenter de garder quotidiennement le cœur ouvert dans des situations où j’aurais envie de me protéger en le fermant. Et ce cœur ouvert, c’est autant pour MOI que pour L’AUTRE.
Ensuite je m’exprime de façon à témoigner de ce cœur resté ouvert.
Par ailleurs, j’ai une préférence franchement légitime pour me sentir bien plutôt que mal et j’ai repéré comment améliorer mon bien-être dans la plupart des situations de défi que je rencontre : je cultive du mieux que je peux 6 valeurs : la compréhension, la solidarité, l’authenticité, la bienveillance, la simplicité et l’émerveillement.
Et je cultive d’abord ces valeurs vis-à-vis de moi, et ensuite vis-à-vis des autres.
En tête de ma liste, il y a donc la compréhension de la condition humaine commune à tous.
Quand je m’efforce de ME comprendre ET de comprendre AUTRUI, mon cœur s’adoucit. Dans cette compréhension je ressens plus de détente que quand je juge ou condamne.
Mais il va de soi que comprendre quiconque n’a rien à voir avec le laisser faire, ni avec l’approuver. Comprendre quelqu’un, c’est mesurer ce qui fait que, dans son histoire, il en soit arrivé là : à se comporter, à s’exprimer, à réagir comme il le fait. Et parfois même, il arrive qu’il n’y ait rien dans ce que je connais de son histoire qui puisse expliquer ou justifier ses attitudes ; alors, je tente d’accepter du mieux que je peux « ce qui est », parce que de toute façon c’est, et que je n’ai pas nécessairement de pouvoir là-dessus.
Mais, là où j’ai plein pouvoir, c’est dans le fait que, quand j’accepte ce qui est, je m’adoucis et je me préserve, ainsi que mes forces d’action ou de réaction. Mon acceptation n’a rien à voir avec une forme de laxisme, de passivité ou de complaisance. Elle est simplement fondée sur l’humilité qui me vient quand je mesure que devenir un humain solide, solidaire, conscient, cohérent, intègre, ça prend du temps, parfois beaucoup de temps. Même toute une vie ! Il me suffit de regarder mon propre parcours pour le réaliser !
Ensuite s’il le faut je ferai usage protecteur de ma force, mais pas usage punitif de celle-ci : je l’utiliserai donc pour protéger la vie, mais pas pour punir quelqu’un ou pour lui montrer qu’il est mauvais. Pour moi aucun être n’est intrinsèquement mauvais.
La méchanceté n’est autre que la bonté torturée par sa propre faim. Khalil Gibran
Quand je suis solidaire, je me sens légère et joyeuse parce que ma vie a du sens : celui de contribuer au bien-être d’autrui.
Quand je suis authentique, dans le sens de « marcher ma parole », je me sens fortifiée et vraiment libre.
Quand je suis bienveillante, j’en ressens les bienfaits dans mon cœur et dans mon corps. Et la logique veut qu’au mieux je me sens, au mieux j’agis, au plus ma productivité se décuple et ma joie de vivre aussi.
Quand je suis simple, quand je vis simplement, tout devient simple !
Par exemple, pour nous aider à rester humains quand nous souffrons, il peut arriver que nous ayons besoin d’empathie ou de compassion ; en effet, ça nous adoucit quand quelqu’un mesure notre détresse ; alors, si nécessaire, demandons-en, en toute simplicité.
Quand je m’émerveille, je suis joyeuse de repérer et de prendre le temps de savourer les beautés de la vie.
Je souhaite que ces réflexions vous stimulent à vous relier à vos valeurs nobles, en ces temps où la violence, l’envie de vengeance et la peur qui s’en suivent pourraient nous les faire lâcher.
Je vous souhaite de vivre en sécurité, ainsi que vos proches et chacun sur cette terre.
Et je pressens qu’il y a une sécurité accessible maintenant à chacun et à chacune d’entre nous, une sécurité que personne ne peut nous enlever : c’est la sécurité d’un humain qui opte pour que les difficultés de sa vie lui permettent de devenir plus humain, plutôt que moins.
Dr Anne van Stappen, 15 novembre 2015
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